Joshua Bandoch, The Politics of Place. Montesquieu, Particularism and the Pursuit of Liberty Eszter Kovács

Joshua Bandoch, The Politics of Place. Montesquieu, Particularism and the Pursuit of Liberty, Rochester, University of Rochester Press, 2017, 253 p.

L’objectif du livre de Joshua Bandoch, dont le titre stimule l’intérêt, est de recontextualiser la théorie politique de Montesquieu, ce qui, semble-t-il, est toujours nécessaire tant sa pensée se prête aux interprétations les plus diverses. Qui plus est, l’auteur cherche à relier les Lumières et la fondation des États-Unis, ce qui est une approche positive, contrebalançant celle, fortement enracinée dans la mémoire collective, d’accuser les penseurs des Lumières des effets néfastes de la Révolution française. Le titre du livre contient deux notions plus ou moins novatrices, « politics of place » et « particularism ». Aucun de ces termes ne désigne exactement la théorie des climats (j’y reviendrai) mais l’auteur les applique au relativisme politique et moral et à l’exigence de la liberté politique.

Le livre se compose de cinq chapitres. Le premier s’occupe des notions-clés de la pensée politique de Montesquieu, dont certains, notamment esprit, restent toujours problématiques et fluctuants. Joshua Bandoch distingue dans son analyse rights (droit) et law ou legislation (loi, législation) alors qu’on tend à utiliser, souvent à tort, ces termes comme synonymes. Il définit le particularisme (versus universalisme) chez Montesquieu comme la constatation de l’impossibilité d’un ordre politique universellement avantageux.

Le second chapitre est consacré à l’importance de la sécurité, de la liberté et de la prospérité, qui sont trois objectifs pour tout État. La relation entre elles explique d’ailleurs le fait bien connu que Montesquieu limite la liberté individuelle pour que la liberté légale puisse assurer la sécurité et la propriété des citoyens. Comme le souligne J. Bandoch, liberté ne veut pas nécessairement dire gouvernement démocratique autonome pour Montesquieu. Il analyse également les éventuels tensions et conflits qui peuvent se créer entre liberté et sécurité ou liberté et prospérité alors que, à première vue, les trois conditions paraissent inséparables. Autrement dit, ces trois choses ne sont pas identiques mais doivent coexister et s’équilibrer dans la société.

Le chapitre III, intitulé « The Political variables », tente de réinterpréter les principaux facteurs politiques. Le chapitre IV traite de « Subpolitical variables » : J. Bandoch y examine d’autres circonstances ou institutions qui ont un impact sur la politique, comme le climat, le commerce, la religion. Concernant la religion, Montesquieu semble souligner la nécessité de l’intolérance envers l’intolérant : cette interprétation de la pensée du philosophe en matière religieuse est intéressante mais pourrait être soumise à de sérieuses critiques. Joshua Bandoch parle de « selective religious intolerance », ce que l’on pourrait également appeler « tolérance religieuse sélective » car Montesquieu cherche l’équilibre et la sécurité en religion comme en politique.

Le chapitre V est l’application de « politics of place » pour évaluer la fondation des États-Unis. Comme on l’a souvent souligné, Montesquieu est le philosophe le plus cité par les « pères fondateurs ». Mais est-il possible d’analyser un événement historique à la lumière d’un ouvrage antécédent ? Comment la pensée de Montesquieu contribuerait-elle au fondement philosophique de la fondation ? Un événement peut-il correspondre, même partiellement, à une théorie ? En examinant ces questions, Joshua Bandoch se demande également si les États-Unis ont le droit d’imposer leurs valeurs aux autres pays. La réponse est sans conteste non, et à la lumière de L’Esprit des lois, et selon des exemples contemporains : le système américain ne devrait pas être importé partout.

En dépit de la qualité de l’ouvrage, je me permets de faire quelques remarques critiques en vue de renforcer une nouvelle approche de la pensée de Montesquieu. J. Bandoch ne prend pas en considération les Pensées, qui sont toutefois tellement aptes à nuancer et à recontextualiser L’Esprit des lois. Il utilise l’expression « politics of place » en tant que synonyme de la théorie politique de Montesquieu. Pourtant, la notion de « politics of place » pourrait-elle heureusement remplacer celle, démodée et critiquée, de la théorie de climats ? Que veut dire dans ce contexte place, à l’opposé du climat ? Le système politique adapté à tel ou tel endroit est sujet aux modifications au cours du temps, ce dont résulte que la notion de « politics of place » doit est considérée historiquement variable.

Certaines remarques nous paraissent un peu formelles. Par exemple, « Moreover, Montesquieu saw a darker side of commerce that some commentators tend to overlook. » (p. 120) En fait, Montesquieu n’a jamais eu un enthousiasme inconditionnel pour quoi que ce soit. On lit également : « Montesquieu also would have approved of liberal democracies had he had the chance to study them. » (p. 79) En dépit de la vraisemblance de cette affirmation, Montesquieu aurait certainement voulu étudier les faiblesses des démocraties libérales ou leur corruption éventuelle.

En même temps, ce livre a des qualités certaines. Joshua Bandoch cherche à établir un nouveau réseau de notions et expliquer ainsi la pensée de Montesquieu, regardée comme un message « codé », une leçon pour l’avenir. Il s’agit d’un ouvrage qui se lit très bien et l’auteur choisit une approche pragmatique. Je voudrais finalement souligner une tentative que l’on ne peut que saluer : J. Bandoch tente de faire comprendre L’Esprit des lois en tant qu’un système, reconnaissant par là la fameuse « chaîne » de l’ouvrage, souvent négligée par les commentateurs.

Eszter Kovács