Une ânerie sur Montesquieu dans "28 minutes" (Arte) Mercredi 4 novembre 2015

Le 4 novembre 2015, la chronique « Quelle histoire » de l’émission Vingt-huit minutes d’Arte a illustré « historiquement » un scandale dévoilé au Vatican avec une anecdote : « Montesquieu achète le pardon de ses péchés … sans payer ».

Le chroniqueur, Xavier Mauduit, raconte l’histoire : le 19 janvier 1729, Montesquieu arrive dans les États pontificaux et découvre le système des indulgences. Il rencontre le pape, Benoît XIII, et lui demande d’être dispensé de faire maigre, ce qui lui est accordé. Quand il reçoit la dispense, il refuse de payer la somme demandée, en arguant du fait que la parole du pape doit suffire.

Dommage que tout cela, selon toute vraisemblance, soit pure invention… L’anecdote semble bien être apparue en 1796, un demi-siècle après la mort de Montesquieu, avec l’édition Plassan de ses Œuvres - il n’est pas exclu qu’elle soit antérieure, mais il serait étonnant qu’elle remonte beaucoup plus haut.

Je citerai seulement ce qui est dit des inventions de l’édition Plassan, à la page 225 de Un auteur en quête d’éditeurs ? (http://montesquieu.ens-lyon.fr/spip...) :

« Lors de son séjour à Rome, [Montesquieu] serait devenu l’ami de Benoît XIV, qui lui aurait accordé dispense de faire maigre, contre des droits que le Gascon aurait refusé de payer. L’éditeur a beau prétendre devoir cette anecdote à « des amis de M. de Montesquieu », tout y respire la forgerie : lors du séjour de Montesquieu à Rome en 1729, le pape n’est pas Benoît XIV, élu en 1740, mais Benoît XIII, qui meurt en février 1730, pour qui Montesquieu n’avait que mépris et que semble-t-il il n’a jamais rencontré. Tout semble inventé à plaisir pour rendre Montesquieu conforme à sa légende : n’aimant pas la dépense vaine, proche des puissants capables de lui rendre justice (car Benoît XIV a longtemps eu la réputation d’être un pape philosophe, ou peu s’en faut), peu sensible à ce qu’on pourrait qualifier d’usage extérieur de la religion, traité ici comme un formalisme proche de la superstition mais lucratif, le tout conclu par un trait d’esprit. C’est donc un bel esprit, libre mais non libertin, que ce Montesquieu revu et corrigé par les éditeurs d’après la Révolution. »

Reconnaissons à Xavier Mauduit le mérite d’avoir rectifié la confusion entre Benoît XIII et Benoît XIV ; la cohérence chronologique est ainsi rétablie. Cela ne donne pas pour autant la moindre crédibilité à l’épisode.

Souhaitons qu’on parle de Montesquieu sur Arte pour de meilleures raisons.

Catherine Volpilhac-Auger